D’après Emmanuel Lévinas, on
doit placer l’éthique au lieu de l’ontologie dans l’ordre philosophique pour
qu’on puisse comprendre Autrui. C'est-à-dire cesser de penser au Moi pour
commencer à penser à Autrui ; dès le début on répond à et d’Autrui, on est
responsable de lui. Cependant, il est défendu de le connaitre puisque cela
signifie qu’on a dû l’assimiler, et tant pis si on atteste l’extase en étant
absorbé par Autrui ; ces notions, la connaissance et l’extase entre le sujet
et l’objet –Moi et Autrui–, provoquent la disparition de l’Autre et de
l’Altérité. Donc, Autrui doit rester inconnu, comme un mystère. Ainsi commence Magnus, avec un mystère qui à travers
les pages se déploie et se dissout, s’éclaire et se multiplie. Il s’agit de la
diffusion des idées lévinassiennes par le biais du roman de Sylvie Germain
qu’on remarquera ci-dessous.
Dans Le temps et
l’autre, Lévinas aborde la question du mystère comme un phénomène positif
dans l’expérience de la mort si on envisage ce phénomène à partir du point de
vue de la solitude. Il existe un procès
dialectique entre la solitude et la collectivité, dans lequel la solitude est synonyme
d’orgueil, de virilité et de souveraineté ; elle est contraire à la
détresse. Ainsi se montre Magnus : solitaire, esseulé dès le commencement
et jusqu’à la fin du roman. Il doit affronter seul le mystère de la mort, de
plusieurs morts, afin d’écouter Autrui. La mort est partout dans le
roman : la mort de sa vraie mère –la femme flambeau, de ses oncles Franz
et Georg, du prétendu Felipe Gómez Herrera, de Thea, de May, de Lothar, du vrai
Clemens Dunkeltal et de son fils, de Peggy, de Frère Jean ; et on se
demande : Y a-t-il une fonction de toutes les pertes subies par Magnus
dont l’écrivaine se serve pour propager les pensées de Lévinas concernant
l’altérité et Autrui ?
Peut-être. Le philosophe dit que l’hypostase (l’unité
indissoluble entre l’existence et l’existant) nait à partir de la solitude, et
celle-là arrive dans le présent parce que c’est là où l’on trouve une sortie de
Soi pour aller vers l’autre. C’est le cas de Magnus. Quand la mort d’un
personnage arrive, Magnus doit se placer seul dans le présent pour continuer sa
recherche. Or, selon Lévinas, « Il n’est pas possible de partir de
Soi-même à moins qu’on ne reçoive rien du passé ». Par conséquent, Magnus,
a-t-il dû laisser son passé à l’écart pour qu’il parte de Soi-même ? Bien
qu’il ait dû surmonter les pertes, il continue la recherche de sa petite
enfance ; mais, à la fin, il parait que Magnus oublie cette question pour
finalement aller vers l’autre.
Magnus est un
roman de construction, le personnage principal –quoi que ce soit son vrai nom,
est en quête de son identité que d’autres ont recouvert des mensonges qu’on
discerne à travers les fragments et aussi grâce aux notules et aux séquences
que Germain a mises sur le papier. Dans
sa quête, Magnus a affonté beaucoup de péripéties ; pourtant il a eu la
liberté de recommencer plusieurs fois, et c’est un autre aspect de la
philosophie lévinassienne : la liberté d’un nouveau commencement. C’est
ainsi qu’on explique les modifications du nom du protagoniste. Franz-Georg
Dunkeltal, Franz Keller, Adam Schmalker, Magnus. Tous ces noms ont été des
nouveaux débuts pour lui. En effet, le présent déchire et renouvelle, fait
commencer, il est le commencement lui-même ; et Magnus s’est déchiré et
renouvelé pour re-commencer au
présent encore une fois.
Magnus recherche sûrement son identité à travers les
fragments du roman, et dans cette recherche il devient responsable de lui-même.
Cette responsabilité de Soi définit son identité, et pour la trouver il faut
être responsable d’Autrui ; mais si on est irresponsable, on n’a pas
d’identité, alors on reste dans l’anonymat et on cesse d’être. Cela est arrivé
à Magnus quelques fois, l’occasion la plus évidente a été celle où Frère Jean a
fait hésiter Magnus sur son nom, ou celle où May lui demandait pourquoi il
avait quitté le nom d’Adam pour celui de Magnus. Durant ces moments où Magnus a
changé de nom, il est resté dans l’anonymat et donc il a cessé d’être. Cela
intensifie la recherche, la sortie de Soi pour aller vers l’Autre. Ainsi les
trois aspects capitaux pour Lévinas –la responsabilité, l’identité et la
liberté– ont étés abordés par Germain dans le roman.
Néanmoins, il y a un événement qui est vraiment
remarquable concernant l’éthique lévinassienne. Après la mort de Lothar, Myriam
donne son masque mortuaire à Magnus, et on entend une résonance avec le Visage
dont parle Lévinas. Le Visage d’Autrui est incarné dans celui de Lothar, et
aussi dans ceux d’autres personnages. C’est ici qu’on se rend compte comment
fonctionne l’éthique pour le philosophe. Certes, le Visage d’Autrui nous
appelle, nous commande, nous oblige, nous pousse pour répondre à et de
lui : il ne s’agit pas de connaitre –d’assimiler– Autrui, mais de re-connaitre
dans son Visage l’autre, l’altérité. « La meilleure manière de rencontrer
Autrui, c'est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux! Quand on observe
la couleur des yeux, on n'est pas en relation sociale avec Autrui. », dit Lévinas.
Donc, Magnus rencontre Autrui dans le masque de Lothar, qui est plutôt un signe
de cette pensée. A partir d’ici Magnus commence à re-connaitre Autrui dans sa
solitude, il recommence son présent si besoin est. Ce l du vrai nom effacé de Magnus peut appartenir au pronom il, Autrui,
celui dont parle Lévinas.
En guise de conclusion, on peut affirmer que Sylvie
Germain a exemplifié quelques concepts de l’éthique lévinassienne à travers Magnus, dont le protagoniste est en
quête de son identité ; il se sert des pertes pour recommencer son
histoire et devient plus libre au fur et à mesure qu’il se montre beaucoup plus
responsable de ses relations avec les autres personnages comme ses parents, ses
bien-aimées, ses tuteurs, Autrui.
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